(extrait
du livre de Marcel Burel, "Roscanvel, dans la Presqu'île
de Crozon",
et publié avec son aimable autorisation). Merci à l'auteur.
Un
partage au village de Lodoën, en Roscanvel, avant la Révolution
:
Un
partage à Lodoën, chez les Derrien...
Les
inventaires après décès à Roscanvel soulignent un mode d’existence
à peu près semblable dans les différentes couches sociales. Thomas-Louis
le Mignon (d'un rang social plus aisé, NDLR) ne vit pas autrement
que les Derrien, ses voisins. Le 19 août 1787, de bon matin, Bernard
Téphany, commis au greffe de Crozon, a pris la route pour le village
de Lodoën, à Roscanvel, où il doit procéder au partage en cinq lotties
du bien appartenant à Marie Herjean, veuve de Gabriel Derrien, qui
vient de décéder. Sont présents Marie Derrien, femme de Jean-Pierre
Carn, demeurant à Recouvrance, Gabriel Derrien de Kerviniou, Jean-Marie
et Marie-Marguerite Derrien qui épousera bientôt son voisin Jean
le Leyer, le forgeron qui, venant de Saint-Driec, s’est établi au
village.
Le
capital d’exploitation de Gabriel Derrien se compose d’une charrue
et d’une charrette qui indiquent une certaine indépendance pourtant
limitée par le manque de cheval qui le place à la merci d’un voisin
plus aisé. Il est vrai que ses quatre enfants aujourd’hui réunis,
avant de s’établir, lui ont apporté le secours de leurs bras dans
ce travail quotidien des champs qui s’apparente à du jardinage.
Le recensement du 16 nivôse de l’an VIII (1797) indique pour Roscanvel
86 chevaux, chiffre à expliquer par l’esprit d’entreprise des paysans
qui ont acquis un attelage pour tirer profit des charrois militaires
pendant les travaux sur les fortifications. La présence ou non d’un
cheval permet à coup sûr de repérer le rang social.
Le
cheptel, autre moyen d’appréciation, se compose d’une vache, de
deux génisses, de quatre brebis et de trois agneaux. Il s’agit là
d’un troupeau plutôt fourni. En règle générale, les pauvres se contentent
d'une seule vache. Peut-être a-t-on même vendu une vache après le
vêlage pour se procurer quelque argent? Quant aux moutons qui parcourent
les terres vaines des deux «montagnes» voisines, ils fournissent
la laine et surtout la viande, en l’absence de porc et de volaille.
Le lait, — car ne manquent ni le bol à lait, ni le passe-lait ni
les barattes — donnera le beurre dont, au printemps, le surplus
s’écoule sur le marché local.
L’inventaire
indique aussi l’épaisseur d’une vie domestique réduite à sa plus
simple expression : une table, une mauvaise "éguaire"
de lit, une grosse table, un literie usagée, quelques ustensiles
de cuisine, une poêle à crêpes et son trépied. Au terme d’une vie
de labeur, loin de l’aisance, Gabriel Derrien et sa femme ont acquis
quelques biens : cheptel et terres qui les rassurent contre la dureté
de la vie, même si ne les quitte guère l’inquiétude qu’une épizootie
vienne frapper leur élevage.
Bernard
Téphany, pour remplir son office, s’assure qu’aucun des héritiers
ne conteste l’établissement de Jean-Marie sur la maison et les terres
situées autour de Lodoën, puis il procède au tirage des lots : d’un
côté, les terres, de l’autre, les biens domestiques. Et chacun,
après le partage, ne peut s’empêcher de se réjouir que les champs
reçus et la vache ou le mouton qu’il ramène au bout dune longe,
fruit d’une vie de travail et de privations, seront, contre les
malheurs de la vie, un atout précieux et inespéré qui attirera les
regards envieux des voisins moins chanceux.
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Copyright 1995, extrait du livre "Roscanvel dans la presqu'île
de Crozon" de Marcel Burel -
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